Henri de Toulouse-Lautrec (1864 – 1901), Femme au tub (Le Tub), 1896

Henri de Toulouse-Lautrec (1864 – 1901)

Femme au tub (Le Tub)

1896

Lithographie en couleurs.  Planche éditée dans la série Elles.

12231537_464824940365894_358247054_n

Henri de Toulouse-Lautrec (1864 – 1901), Femme au tub (Le Tub), 1896

Actuellement, le public est invité à découvrir l’exposition « Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 » au Musée d’Orsay.  L’œuvre choisie, dans cet article, appartient à l’une des pièces de la série de lithographie Elles – une des plus grandes réussites de Toulouse-Lautrec.  Cette série a été réalisée pendant le séjour de l’artiste dans les maisons closes dans le quartier bohème de Montmartre.  Les femmes de la maison close sont vues prendre les bains, faire leur toilette et parfois dormir.  Dans cette lithographie, la scène montre une femme délicatement habillée se penchant alors qu’elle prépare son bain pour sa toilette.  Cette scène intime présente la femme dans une mise en scène intérieure élégante.  La familiarité de l’artiste avec le protagoniste est mise en évidence.

Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa (le 24 novembre 1864 – le 9 septembre 1901), est un peintre du postimpressionnisme, un dessinateur, un illustrateur de l’Art nouveau et un remarquable lithographe.  Il a croqué le mode de vie de la Bohème parisienne à la fin du XIXsiècle.  On le considérait comme « l’âme de Montmartre », le quartier parisien où il habitait.  Ses peintures décrivent la vie au Moulin Rouge et dans d’autres cabarets et théâtres montmartrois ou parisiens.  Il peint dans les maisons closes qu’il fréquentait.  Malgré une vie courte et marquée par la maladie, les œuvres de l’artiste furent très vastes, comprenant les peintures, les aquarelles, les lithographies (y compris les affiches) et les dessins.  N’ayant pas besoin d’exécuter des œuvres sur commande, Lautrec choisissait des sujets qu’il connaissait bien ou des visages qui l’intéressaient et, comme il fréquentait des gens de toute sorte, ses tableaux couvrent une vaste gamme de classes sociales : nobles et artistes, écrivains et sportifs, médecins, infirmières et figures pittoresques de Montmartre.

Toulouse-Lautrec fut inspiré des estampes « Douze heures dans le Yoshiwara » de Kitagawa Utamaro, dans lesquelles l’artiste japonais dépeignit la vie quotidienne des prostituées à Tokyo.  Pour réaliser Elles, Toulouse-Lautrec a passé les longues années dans les maisons closes situées à la rue des Moulins afin d’obtenir un condensé des observations de la vie quotidienne des courtisanes.  L’artiste trouva que le sens détendu des femmes fait d’elle des modèles idéaux avec leur propre sexualité.

10581580_475195432662178_2114995676_n

Henri de Toulouse-Lautrec, Elles, 1895

La présentation de cette œuvre montre en premier plan une prostituée sensible et respectueuse.  Même si l’artiste n’a pas montré le visage du personnage, il fut capable de saisir l’instant, avec virtuosité, au plus près du quotidien du personnage, à travers son geste.  Cela fut renforcé par la présentation des décors domestiques en arrière-plan.  La composition se fait sans voyeurisme, mais témoigne d’une observation discrète à l’aide de couleurs qui s’abstiennent de tout effet criard et voyant.  Cette œuvre n’a pas porté un fantasme érotique, mais plutôt un portrait intime d’une femme.  L’artiste a réussi à présenter l’intimité de la femme, même cette série n’a pas connu de succès commercial à cette époque-là

La technique utilisée est la lithographie.  C’est une invention d’Aloys Senefelder, en 1796, en Allemagne.  La lithographie est une technique d’impression à plat qui permet la création et la reproduction à de multiples exemplaires d’un tracé exécuté à l’encre ou au crayon sur une pierre calcaire.  La lithographie devient la forme la plus commune d’impression à plat dès le début du XIXe siècle grâce à sa facilité d’exécution.  Les épreuves sont obtenues à partir d’une surface ni creuse, ni en relief, mais parfaitement plane.  L’artiste peut dessiner sur la superficie d’une pierre d’un type spécial comme il a l’habitude de le faire sur du papier, avec relativement peu de contraintes techniques.  Les pierres peuvent être réutilisées après l’impression, au moyen d’un polissage.  Cette technique est très populaire au XIXe siècle, avec la publication de nombreux recueils et d’innombrables récits de voyages.  Meilleur marché que la peinture, la lithographie sert également à la reproduction d’œuvres peintes et la création d’œuvres originales, intéressant donc les artistes, parmi eux, Toulouse-Lautrec.

Cette technique est basée sur la répulsion réciproque de l’eau et des corps gras.  Pour la faire, l’artiste dessine sur une plaque de calcaire lisse et plate, en utilisant une encre spéciale très grasse, ou un pastel à base de cire, de savon et de noir de fumée.  Une fois le dessin exécuté, la pierre est placée sur la presse lithographique et humidifiée pour l’impression.  C’est un traitement chimique fixant les corps gras sur le dessin et augmentant la porosité des zones vides.  Étant poreuse, la pierre calcaire retient l’eau.  L’encre grasse est déposée au moyen d’un rouleau en caoutchouc.  L’encre reste sur la pierre aux endroits imprégnés du gras du dessin tandis qu’elle est repoussée par l’humidité partout ailleurs (l’encre grasse est hydrophobe).  Lorsque la pierre est assez encrée, on pose le papier et on passe sous presse. Pour imprimer en couleurs, il faut recommencer l’impression de la même feuille, en dessinant à nouveau, sur une pierre différente, le motif en fonction de sa couleur, et en tenant compte éventuellement des superpositions de couleurs qui donneront des teintes mixtes.   En travaillant des façons peu variées, on peut obtenir les effets particuliers.  On peut gratter certaines parties du dessin.  Il est aussi possible de transférer un dessin fait à la craie lithographique ou peint à la touche (encre lithographique) d’un papier ou d’un autre support sur une pierre.  Ce support a seulement un rôle secondaire de transfert.  Cette possibilité de travailler sur papier offre une liberté et une spontanéité que le dessin sur la pierre n’autorise pas.

Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910

Musée d’Orsay, Paris

22 septembre 2015 – 17 janvier 2016

« Tous droits réservés.  La reproduction intégrale ou partielle de cet article sans autorisation est strictement interdite »


Cindy

image (2)          53d154554156486e385c7d40_TwitterBlack-Circle-Icon_Email1-940x940download

Pablo Picasso (1881-1973), Femmes d’Alger d’après Delacroix, IV, 14 janvier 1955

Pablo Picasso (1881-1973)

Femmes d’Alger d’après Delacroix, IV

14 janvier 1955

Eau-forte, grattoir et pointe sur cuivre

Épreuve sur papier vélin de Rives, tirée par Lacourière.  Dation en 1979, MP3016

Pablo Picasso (1881-1973), Femmes d’Alger d’après Delacroix, IV, 14 janvier 1955

Actuellement, le public est invité à découvrir l’exposition « Accrochage Picasso chez Delacroix » au Musée National Eugène-Delacroix.  L’œuvre choisie, dans cet article est un des travails des Femmes d’Alger d’après Delacroix de Pablo Picasso.  En 1955, Picasso exécute quinze peintures, de multiples dessins préparatoires et des estampes, d’après le tableau Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix.

Différente de la représentation de la peinture Femmes d’Alger dans leur appartement dans laquelle Delacroix développa des images d’intimité et de paresse sensuelles, cette œuvre de Picasso a mis l’accent sur les poitrines des femmes.  Leurs seins sont semblables à des obus ou à des bombes.  Dans la composition, Picasso cadra simultanément plusieurs plans différenciés selon plusieurs angles.  La femme de gauche aux seins nus (Jacqueline) contraste avec sa compagne étendue sur la droite, la servante emportant le plateau, et la figure dans l’encadrement de la porte ou du miroir.  Les trois dernières sont entièrement nues et pareillement construites sur des plans et sous des angles différents.  En arrière-plan, l’espace géométrisé en carrés renforce les contrastes des personnages.

Les interprétations de la motivation de Picasso en réalisant cette série d’œuvres d’après le tableau Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix sont multiples.  D’une part, il était impressionné par les femmes arabes lors de sa visite d’une maison musulmane, à Alger et aussi par la femme au narguilé qui évoque pour lui une ressemblance fortuite avec Jacqueline, sa nouvelle compagne après la mort de Matisse.  D’une autre part, cette série est interprétée comme un hommage à l’insurrection algérienne en novembre 1954.  Pour Picasso, les femmes représentant  l’orientalisme mythique sensuel et voluptueux dans le tableau de Delacroix, symbolisent, aussi, une ville sous le joug de la révolution.  La représentation des seins comme des obus et des bombes montre l’hostilité et fait écho à l’émancipation des femmes algéroises qui ont milité à côté des rebelles pour l’indépendance du pays.  Les femmes d’Alger ne furent plus dans l’attente, mais dans l’action, et leur corps ne fut plus érotisé mais guerrier.  L’intimité qui régna dans le tableau de Delacroix fut remplacée par l’engagement physique.

Les techniques utilisées dans cette estampe sont l’eau forte, le grattoir et la pointe sur cuivre.  L’eau-forte est un procédé de gravure en creux ou taille-douce sur une plaque métallique à l’aide d’un mordant chimique (un acide).  C’est donc un procédé de taille indirect.  L’artiste utilisant l’eau-forte est appelé aquafortiste.  Parmi les différents procédés d’eaux-fortes, il existe l’aquatinte, la gravure au lavis ou la manière de crayon qui sont différenciées par les outils ou vernis à graver utilisés.  Le graveur exécute le dessin à la pointe sur une plaque de métal préalablement recouverte d’une pellicule de vernis inattaquable par l’acide.  La plaque est ensuite plongée dans un acide qui creuse des sillons dans les parties travaillées.  Après nettoyage du vernis, la plaque est encrée et mise sous presse.  Le graveur peut immerger plusieurs fois la plaque en masquant au besoin certaines parties qu’il juge abouties.  La profondeur du trait et, par conséquent, sa densité sur l’impression obtenue résultent de la durée d’immersion de la planche dans l’acide.  Le procédé à l’eau-forte n’est donc pas seulement mécanique, mais aussi chimique.  Le geste le rapproche de la technique du dessin.  L’eau forte a l’avantage d’être bien plus facile à mettre en œuvre que le burin et permet une plus grande rapidité d’exécution.   À l’aide du grattoir, le graveur peut repolir sa plaque pour la repentir.  Dans une œuvre, l’eau forte présente des lignes délicates, tremblotantes, hésitantes.

Pablo Ruiz Picasso est né à Malaga en 1881.  Considéré comme le fondateur du cubisme avec Georges Braque, il est incontestablement l’un des plus grands artistes du XXe siècle.  Il avait un désir insatiable d’expérimenter toutes les techniques et d’en imaginer de nouvelles.  Au cours de ces cinquante ans, Picasso est passé du Classicisme au Cubisme ou encore au Surréalisme, combinant parfois ces styles.  Quant à l’estampe, les œuvres gravées de Picasso sont considérables, les pluparts sont réalisées entre 1899 et 1973.  Il s’adonne à l’eau-forte, à l’aquatinte, à la lithographie, à la linogravure, au monotype, en tentant à chaque fois de renouveler le genre.  Picasso découvre très tôt la gravure, possède sa propre presse dès 1907 et grave jusqu’à sa mort à 91 ans.  Loin d’être traitée de manière isolée, la gravure est toujours en dialogue avec les différents modes de création : sculpture et peinture. Il est accompagné dans sa recherche par Roger Lacourière pour la taille douce, par Fernand Mourlot pour la lithographie, par Hidalgo Arnera pour la linogravure et, à partir de 1955, par Jean Frélaut puis les frères Aldo et Piero Crommelynck qui installent une imprimerie à Mougins près de Notre-Dame-de-Vie en 1963.

L’exposition Accrochage Picasso chez Delacroix

Musée national Eugène-Delacroix, Paris

Du 21 Octobre 2015 au 25 Janvier 2016


Cindy

image (2)          53d154554156486e385c7d40_TwitterBlack-Circle-Icon_Email1-940x940download

Matisse et la Gravure: l’autre instrument

L’exposition nous dévoile actuellement un aspect méconnu du travail du maître fauviste, Henri Matisse.  Tout au long de sa vie d’artiste, Matisse n’a pas cessé de graver.  On compte plus de 800 estampes dont des illustrations pour « Les fleurs du mal » de Baudelaire.  Plus de 200 œuvres sont révélées, aujourd’hui, au public, dans cette exposition, y compris des pièces inédites : matrices, des pierres lithographiques ainsi que des tirages rayés.

L’artiste mène de front, tout au long de sa vie, la peinture, la sculpture et la gravure. Rares sont les expositions qui ont été consacrées à la gravure qui, pendant longtemps, a été considérée comme un art relégué au “second rang” à cause de son caractère reproductible.

L’œuvre gravé de Matisse revêt un caractère primordial et bien spécifique. Matisse s’est essayé aux diverses techniques de gravure.  Il s’adonne aussi bien à la pointe sèche, qu’à l’eau forte, l’aquatinte ou encore le monotype, le bois, la lithogravure et la lithographie.  « Il dessine, voilà tout, avec de nouveaux instruments. » nous explique sa fille Marguerite Duthuit Matisse.

Henri Matisse gravant, 1900-1903 Pointe sèche sur vélin Planche 52 D Collection privée © Succession H. Matisse Photo : Archives Henri Matisse

Les premières gravures sont des autoportraits réalisés à la pointe sèche entre 1900 et 1903.  L’artiste y apparait dans la même posture que Rembrandt avait choisie pour se représenter en 1648.  Il se représente avec des petites lunettes sur le nez, l’air grave, presque inquiet.  Se détachant de son héritage classique, Matisse travaille, dans la plus totale liberté, autour d’un thème central : la figure.  Le plus souvent, ce sont des femmes qu’il met à l’honneur.  C’est en 1906 qu’il exécute trois gravures sur bois, des femmes nues, allongées sur une chaise longue qui sont devenues des symboles de toute l’histoire du fauvisme.  Les lignes sont épaisses. Elles mettent en valeur la féminité des modèles, le volume des seins et les courbes des hanches.  Ici, peu de traits sont utilisés pour le visage et son expressivité.

Les estampes de Matisse s’inscrivent le plus souvent dans les séries.  Ces harmonieuses figures gravées sont représentées dans de multiples positions: allongées, de dos, couchées, lisant ou endormies.  Il s’intéresse exclusivement au corps féminin, aux arabesques, aux odalisques et danseuses.  Il exécute avec une technique maitrisée, un savoir–faire exigeant.  Le trait vient d’un seul jet, ne souffre d’aucune correction.  C’est réussi ou raté.  Les différents états d’une même planche sont exceptionnels; les tirages très limités et très soignés.  C’est sans doute aussi pour donner à la gravure la place qu’elle mérite dans le domaine artistique que les tirages sont parfois limités à un seul exemplaire.

© Succession Henri Matisse Henri Matisse, La frégate, 1938, linogravure.

© Succession Henri Matisse
Henri Matisse, La frégate, 1938, linogravure.

Si l’estampe se prêtait davantage à un travail sériel, le graveur changeait de matrice comme s’il avait utilisé une nouvelle feuille de dessin.  Il n’était pas intéressé par les possibilités de l’estampe, il gravait comme il dessinait.  Par ailleurs, le maître fauviste, incontesté de la couleur, fait du noir la couleur absolue.  Il écrira : «  J’ai commencé à utiliser le noir pur comme une couleur de lumière et non comme une couleur d’obscurité. » Comme dans la peinture, on retrouve dans le noir et blanc de ses gravures, la même démarche de simplicité et de pureté.  Seules, les eaux fortes de La Danse, datés de 1935-1936, seront réalisées en couleur (noir, gris, rose et bleu) d’après la seconde version de La Danse, dite Danse de Paris (1131-1932).

L’exposition est d’autant plus intéressante qu’elle présente des pièces jamais dévoilées au public : des tirages rayés ainsi que des matrices de pierres lithographiques, de bois, de plaques de cuivre ou de linoleum qui permettent de pénétrer dans l’atelier du maître pour voir comment il travaillait.  Ses œuvres, mises en lumière le temps de l’exposition, retourneront dans l’ombre pour une durée d’au moins 4 ans.

Matisse et la Gravure: l’autre instrument

Musée Matisse le Cateau-Cambrésis (ville natale de Matisse)

du 18 octobre 2015 au 06 mars 2016


Isabelle ALTIER

Enseignante

Black-Circle-Icon_Email1-940x940