Né à la toute fin du 19ème siècle à Paris, Fautrier étudia le dessin et la peinture à Londres. Peintre d’abord figuratif, il s’est vraiment fait connaître et apprécier en 1945, quand il a présenté sa série de quarante petits tableaux, intitulée « Les otages », qu’il peignit pendant la guerre, en réaction aux barbaries nazies. Sa première exposition en Asie – à Tokyo, en 1959 – fit forte impression et une toile de la série des Otages est alors entrée dans la collection du Musée Bridgestone à Tokyo, où elle est exposée aux côtés notamment d’œuvres de Jackson Pollock et de Zao Wou-Ki.
Un inventeur et un poète[1]
L’œuvre de Jean Fautrier est de celles qui prolongent alors l’abstraction, née au début du 20ème siècle, en la renouvelant, comme s’y employèrent alors d’autres artistes européens (Tàpies et Bram Van Velde par exemple) et Américains (Mark Rothko, Willem De Kooning par exemple). Tout est sans cesse renouvelé et réinventé dans les années 50 et 60, et la peinture abstraite devient extraordinairement diverse : monochromes (Robert Ryman, Barnett Newman), mobilisation de gestes et de signes graphiques (Jackson Pollock, Sam Francis, Cy Twombly, Soulages), la géométrie des plans et des lignes (Ellsworth Kelly, Aurélie Nemours, François Morellet, Sol Lewitt), les pliages (Simon Hantaï, Park Seo Bo), etc.
C’est au début des années 40 que Fautrier abandonne toute forme de figuration identifiable dans ses peintures. La voie qu’il emprunte apparaît à la fois innovante et poétique. Innovante, car il expérimente des formes abstraites inédites, « en pleine pâte », à l’épaisseur et au relief alors inédits. Poétique, sa peinture le doit à l’émotion du départ, que lui donnent à la fois la couleur et la force et la forme du dessin préalable. A cet égard, bien que différente, cette grande sensibilité rapproche, comme évoqué, l’œuvre de Fautrier de celle de Zao Wou Ki. Tous deux sont des virtuoses de la couleur et de la matière[2].
Au-delà de la grande beauté et de la grande force de ses œuvres, Fautrier restera dans l’histoire de l’art comme celui, avec l’autre grand peintre français Jean Dubuffet, qui aura profondément repensé la peinture française, sur le plan de la technique comme à celui de l’image.

Jean Fautrier (1898-1964), Sans Titre, 1959, huile sur papier marouflé sur toile, 38,1 x 61,6cm.

Jean Fautrier (1898-1964), Sans Titre, 1959, huile sur papier marouflé sur toile, 38,1 x 61,6cm (détail).
[1] « La peinture, cet art le plus poétique qui soit », J. Fautrier, Tel Quel, N° 4, 1961
[2] Ils figurent d’ailleurs tous deux dans l’exposition organisée en 2017 par le Musée National d’Art Moderne-Centre Georges Pompidou « Le geste et la matière, une abstraction autre ».
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Cindy