Matisse et la Gravure: l’autre instrument

L’exposition nous dévoile actuellement un aspect méconnu du travail du maître fauviste, Henri Matisse.  Tout au long de sa vie d’artiste, Matisse n’a pas cessé de graver.  On compte plus de 800 estampes dont des illustrations pour « Les fleurs du mal » de Baudelaire.  Plus de 200 œuvres sont révélées, aujourd’hui, au public, dans cette exposition, y compris des pièces inédites : matrices, des pierres lithographiques ainsi que des tirages rayés.

L’artiste mène de front, tout au long de sa vie, la peinture, la sculpture et la gravure. Rares sont les expositions qui ont été consacrées à la gravure qui, pendant longtemps, a été considérée comme un art relégué au “second rang” à cause de son caractère reproductible.

L’œuvre gravé de Matisse revêt un caractère primordial et bien spécifique. Matisse s’est essayé aux diverses techniques de gravure.  Il s’adonne aussi bien à la pointe sèche, qu’à l’eau forte, l’aquatinte ou encore le monotype, le bois, la lithogravure et la lithographie.  « Il dessine, voilà tout, avec de nouveaux instruments. » nous explique sa fille Marguerite Duthuit Matisse.

Henri Matisse gravant, 1900-1903 Pointe sèche sur vélin Planche 52 D Collection privée © Succession H. Matisse Photo : Archives Henri Matisse

Les premières gravures sont des autoportraits réalisés à la pointe sèche entre 1900 et 1903.  L’artiste y apparait dans la même posture que Rembrandt avait choisie pour se représenter en 1648.  Il se représente avec des petites lunettes sur le nez, l’air grave, presque inquiet.  Se détachant de son héritage classique, Matisse travaille, dans la plus totale liberté, autour d’un thème central : la figure.  Le plus souvent, ce sont des femmes qu’il met à l’honneur.  C’est en 1906 qu’il exécute trois gravures sur bois, des femmes nues, allongées sur une chaise longue qui sont devenues des symboles de toute l’histoire du fauvisme.  Les lignes sont épaisses. Elles mettent en valeur la féminité des modèles, le volume des seins et les courbes des hanches.  Ici, peu de traits sont utilisés pour le visage et son expressivité.

Les estampes de Matisse s’inscrivent le plus souvent dans les séries.  Ces harmonieuses figures gravées sont représentées dans de multiples positions: allongées, de dos, couchées, lisant ou endormies.  Il s’intéresse exclusivement au corps féminin, aux arabesques, aux odalisques et danseuses.  Il exécute avec une technique maitrisée, un savoir–faire exigeant.  Le trait vient d’un seul jet, ne souffre d’aucune correction.  C’est réussi ou raté.  Les différents états d’une même planche sont exceptionnels; les tirages très limités et très soignés.  C’est sans doute aussi pour donner à la gravure la place qu’elle mérite dans le domaine artistique que les tirages sont parfois limités à un seul exemplaire.

© Succession Henri Matisse Henri Matisse, La frégate, 1938, linogravure.

© Succession Henri Matisse
Henri Matisse, La frégate, 1938, linogravure.

Si l’estampe se prêtait davantage à un travail sériel, le graveur changeait de matrice comme s’il avait utilisé une nouvelle feuille de dessin.  Il n’était pas intéressé par les possibilités de l’estampe, il gravait comme il dessinait.  Par ailleurs, le maître fauviste, incontesté de la couleur, fait du noir la couleur absolue.  Il écrira : «  J’ai commencé à utiliser le noir pur comme une couleur de lumière et non comme une couleur d’obscurité. » Comme dans la peinture, on retrouve dans le noir et blanc de ses gravures, la même démarche de simplicité et de pureté.  Seules, les eaux fortes de La Danse, datés de 1935-1936, seront réalisées en couleur (noir, gris, rose et bleu) d’après la seconde version de La Danse, dite Danse de Paris (1131-1932).

L’exposition est d’autant plus intéressante qu’elle présente des pièces jamais dévoilées au public : des tirages rayés ainsi que des matrices de pierres lithographiques, de bois, de plaques de cuivre ou de linoleum qui permettent de pénétrer dans l’atelier du maître pour voir comment il travaillait.  Ses œuvres, mises en lumière le temps de l’exposition, retourneront dans l’ombre pour une durée d’au moins 4 ans.

Matisse et la Gravure: l’autre instrument

Musée Matisse le Cateau-Cambrésis (ville natale de Matisse)

du 18 octobre 2015 au 06 mars 2016


Isabelle ALTIER

Enseignante

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