Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), La pleine lune du huitième mois, vers 1836

Utagawa Kuniyoshi (1797-1861)

La pleine lune du huitième mois

Série sans titre de beautés avec des enfants au fil des douze mois de l’année

vers 1836

Gravure sur bois en couleurs

12283088_468206913361030_1378669540_n (1)

Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), La pleine lune du huitième mois, vers 1836

Actuellement, le public est invité à découvrir l’exposition « Fantastique ! Kuniyoshi : Le démon de l’estampe » au Petit Palais. L’œuvre choisie, dans cet article, est une des gravures sur bois en couleurs de la série « sans titre de beautés avec des enfants au fil des douze mois de l’année » d’Utagawa Kuniyoshi.  Cette dernière qui représente des jeunes femmes en compagnie d’enfants ponctue l’année à Edo. La pleine lune que l’on admire au huitième mois fait l’objet d’une fête au Japon car elle passe pour être la plus belle de l’année.  À cette occasion, il est d’usage de déposer un bouquet d’herbes devant sa maison.  Le kimono en coton léger appelé « yukata » que porte la jeune femme présente un décor de cristaux de neige à la dernière mode de cette époque.  En haut de l’image, un cartouche situe le décor de la scène nous montrant les navires au pont Eitai.  Ce cartouche distinctif qui s’appelle toshidama est un signe réservé aux membres de l’école Utagawa de dessinateurs d’estampes ukiyo-e.  Bien que cette série soit sans titre, chaque impression a son propre titre ainsi qu’une vue d’encart dans le toshidama.  Ce dernier était un signe des estampes de Kuniyoshi jusqu’à 1844 ; date à laquelle il s’est distancié de l’école Utagawa et a cessé d’utiliser le sceau de toshidama.  C’est alors que son concurrent Kunisada s’est déclaré lui-même à la tête de l’école Utagawa et  a adopté le nom Toyokuni. Les tirages sont chacun d’environ 36 x 25 centimètres, taille connue sous le nom ôban.

Kuniyoshi est l’un des derniers grands maîtres japonais de l’estampe sur bois.  Il est resté moins connu en Occident qu’Hokusai et Utamaro, peut-être à cause de  l’anticonformisme de son œuvre  qui le tint à l’écart de la vague du japonisme décoratif en Europe à la fin du XIXe siècle.  Ses estampes sont caractérisées par l’originalité de leur inspiration et des cadrages, par la violence dans les séries de monstres et de combattants, mais aussi pour l’humour dans les séries d’ombres chinoises, les caricatures et les représentations de la vie des chats.  Néanmoins, il y a une section dans l’exposition dans laquelle les quartiers des plaisirs et les paysages à l’époque d’Edo sont bien représentés.

A l’époque d’Edo, les acteurs sont adulés comme des stars.  Les estampes jouent un rôle de support publicitaire pour la présentation de productions théâtrales mais aussi pour les spectacles d’acrobates et d’équilibristes.  Elles transmettent les détails de la vie des japonais : spectacles variés, fêtes saisonnières, quartiers des plaisirs, figuration des courtisanes. Les modèles favoris de l’artiste sont  les courtisanes de haut rang,  au raffinement accompli, celles-ci formant un monde à part.  À l’occasion des multiples festivités qui s’y déroulent, les geishas divertissent l’assistance cultivée en dansant et en jouant de la musique.

Dans cette estampe,  au premier plan, l’expressivité du visage de la femme lui donne de l’élégance et de la tranquillité.  Les jeux d’ombres et de lumières (de la plante derrière l’écran papier et de la colline au loin en arrière-plan) produisent une gradation tandis que les usages de la perspective, des couleurs fines et la technique d’estampage permettent à l’artiste de mettre du volume dans l’impression.  Les couleurs jouent un rôle essentiel dans l’estampe japonaise : elles créent le rythme, elles modulent l’espace et accentuent les volumes.  La finesse des motifs du kimono manifeste bien l’originalité japonaise.  La représentation détaillée des personnages dans les scènes de paysages apporte l’impression de chaleur humaine.

La technique utilisée dans cette estampe est la gravure sur bois.  Au Japon, elle s’appelle l’estampe ukiyo-e.  Il existe deux types d’ukiyo-e : des peintures à exemplaire unique (appelées nikuhitsu ukiyo-e), exécutées au pinceau par l’artiste, directement sur un support en papier ou en soie ; et des estampes reproduites en plusieurs exemplaires, selon la technique de la gravure sur bois et le dessin réalisé par un peintre.  Les estampes sont présentées sous la forme de feuilles séparées ou de plusieurs feuilles réunies en album et brochées à la manière d’un livre.  Lorsqu’on parle d’ukiyo-e au sens étroit, on fait généralement référence aux estampes à feuille unique.  Il s’agit d’une gravure en relief (xylographie), visuellement nous pouvons la comparer à un tampon.  L’encre est déposée sur le relief, l’impression sur un papier produit une estampe.  La gravure est exécutée sur une planche de bois de cerisier, très apprécié pour la finesse de sa veinure et sa dureté.  La réalisation d’une estampe ukiyo-e nécessite l’intervention de plusieurs corps de métier : le peintre (eshi), qui réalise le dessin préparatoire, le graveur (horishi), qui reporte ce dessin sur une planche de bois et l’imprimeur (surishi), qui exécute l’œuvre finale selon les indications de l’artiste pour l’application des couleurs.  Par conséquent, le peintre n’intervient généralement que dans la réalisation du dessin, mais il ne grave pas l’œuvre lui-même, ni ne participe à son impression.  Le peintre réalise un dessin à l’encre de chine sur un papier japonais très fin.  Le graveur enduit la planche de bois de colle à base de riz, puis place le côté recto du dessin sur la planche.  Il frotte jusqu’à ce que les traits à l’encre de chine pénètrent dans le bois.  Le papier part en lambeau, le dessin est détruit.  Le graveur creuse ensuite le bois autour des tracés d’encre de chine.  C’est la planche de trait.  Il grave ensuite autant de planches qu’il y aura de couleurs sur l’estampe finale.  L’imprimeur prend le relais.  Il utilise un papier japonais traditionnel, humidifié afin qu’il absorbe bien les pigments.  Les planches sont enduites d’encre sur les reliefs, le papier est posé successivement sur les différentes planches, l’impression se faisant par frottement avec un tampon de feuilles de bambou.  L’imprimeur commence l’impression en allant des teintes les plus claires jusqu’aux plus foncées.

L’exposition Fantastique ! Kuniyoshi : Le démon de l’estampe

Petit Palais, Paris

Du 1er octobre 2015 au 17 janvier 2016

« Tous droits réservés.  La reproduction intégrale ou partielle de cet article sans autorisation est strictement interdite »


Cindy

image (2)          53d154554156486e385c7d40_TwitterBlack-Circle-Icon_Email1-940x940download